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Mers et océans

"Restaurer la vie marine d'ici 2050, un défi réaliste"

Tout n’est pas perdu pour les océans. Si on met en œuvre les mesures de conservation appropriées, les océans pourraient retrouver une bonne santé d’ici 2050. Telle est la conclusion d’un article qui passe en revue toutes les expériences réussies. Rencontre avec Jean Pierre Gattuso, chercheur CNRS au Laboratoire d'Océanographie de Villefranche et signataire de l'article. 

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De nombreuses initiatives publiques et privées ont fleuri ces dernières années pour restaurer les écosystèmes marins. © Manu San Felix, National Geographic

Alex Buxton (Marcom)

A l'occasion de la publication d'un article (Rebuilding Marine Life) dans la revue Nature, Sciences et Avenir a interrogé Jean-Pierre Gattuso, chercheur CNRS au Laboratoire d'Océanographie de Villefranche et l'un des signataires de l'article. Cet article a été initialement publié sur notre site le 2 avril 2020 ; nous vous proposons de le retrouver à l'occasion du 8 juin, la Journée mondiale de l'océan. 

Sciences et Avenir : L’article que vous signez, avec d’autres experts, océanographes et biologistes de 10 pays, jette, une fois n’est pas coutume, un regard optimiste sur l’avenir des océans. Est-ce réaliste ?

Jean-Pierre Gattuso : Oui. Certes, l’état des océans s’est très largement dégradé au cours des 100 dernières années. Un tiers des stocks de poissons est victime de la surpêche, entre le tiers et la moitié des habitats marins vulnérables ont été perdus, les récifs coralliens souffrent du réchauffement de l’eau, on assiste au déplacement des espèces, les déserts marins augmentent, etc. Le bilan est très sévère. Mais nous avons essayé d’aller au-delà de ces constats catastrophiques pour montrer les possibilités de résilience de l’océan. Car il est urgent d’agir : l’océan est un rouage essentiel de la machine climatique, des sociétés humaines et de l’économie mondiale. On a observé ces dernières années des résiliences dans certains secteurs. Nous avons ainsi fait la liste de ce qui va mieux aujourd’hui par rapport à la fin du 20e siècle.

Quelles sont ces bonnes nouvelles océaniques ?

L’état de plusieurs populations de mammifères marins, par exemple, s’est considérablement amélioré. Environ la moitié de la population des mammifères marins bien étudiés ont vu leur population augmenter au cours des dernières décennies. Les baleines à bosse ont vu leur population passer de quelques centaines d’individus en 1968 à 40.000 aujourd’hui. Les éléphants de mer du Nord, dont il ne restait qu'une vingtaine d'individus en 1880, sont maintenant plus de 200.000. Quant aux phoques gris, ils ont augmenté de 1410% dans l'est du Canada et de 823% en mer Baltique depuis 1977. La loutre de mer du Sud est passée d'environ 50 individus en 1911 à plusieurs milliers désormais. Plus généralement, la proportion d'espèces marines menacées d'extinction est passée de 18% en 2000 à 11,4% en 2019.

Les baleines à bosse ont connu un rebond important de leur population depuis les années 1970. ©R. Hucke-Gaete (UACH / CBA)

Qu’en est-il des stocks de poissons ?

Ils récupèrent dès que l’on remplace la surpêche par une gestion durable des pêches. Un exemple de rebond impressionnant des stocks de poissons a ainsi été enregistré pendant les deux guerres mondiales. De manière plus générale, la diminution de la pression humaine quelle qu’elle soit entraîne une amélioration de santé des écosystèmes. Après la chute de l’Union soviétique, la réduction brutale d’apport d’engrais a ainsi permis d’améliorer l’état de santé de la mer Noire et la mer Adriatique. Ou encore l’interdiction totale, en 2008, de l’antifouling TBT (tributylétain) a diminué drastiquement le phénomène de changement de sexe chez les femelles de gastéropodes marins, tels que le pourpre (Nucella lapillus).

Des écosystèmes entiers peuvent-ils être restaurés ?

Oui, et nous en avons de nombreux exemples. L’un des plus emblématiques est sans doute celui de la forêt de mangroves du delta du Mékong, au Vietnam. Détruite lors de la guerre du Vietnam et ses bombes au Napalm, ses 1500 km2 ont été depuis lors entièrement restaurés ! La surface de mangroves a également augmenté en Chine, en mer Rouge, dans le golfe arabo-persique. Une restauration à grande échelle des marais salants et des récifs d'huîtres a eu lieu également en Europe et aux États-Unis. Ce sont des signes qui montrent que lorsque l’on met en œuvre des mesures de diminution de la pollution  et de protection des habitats et des espèces vulnérables, les écosystèmes marins ont de fortes capacités de résilience. Ces mesures, prises individuellement ne permettent pas la reconstitution de la vie marine. Mais prises ensemble, elles démontrent que ce n’est pas une vue de l’esprit.

Dans l’article publié dans Nature, vous donnez pour objectif une résilience des milieux marins en 2050. Dans 30 ans. Pourquoi est-ce si long ?

En fait tout dépend des espèces et des habitats. Il faut moins d'une décennie pour restaurer des récifs d'huîtres, entre une à deux décennies pour les marais salants et les mangroves, et parfois plusieurs décennies pour les herbiers marins. Les coraux et les éponges des grands fonds peuvent mettre de 30 ans à plus d'un siècle pour récupérer après un chalutage ou des marées noires. Les populations d'oiseaux de mer ont généralement besoin de quelques décennies pour se rétablir, alors qu’il faut plus de 100 ans pour certaines grandes baleines et la plupart des tortues marines. L’horizon 2050 est un objectif de restauration substantielle (50 à 90 % de l'état antérieur), un objectif atteignable à l’échelle d’une génération.

Les populations de requins et de grands prédateurs marins ont connu un fort déclin ces dernières années. © Manu San Felix, National Geographic

Votre étude montre cependant que la préservation des récifs coralliens risque d’être compliquée…                                                                        

Effectivement. La reconstruction de récifs coralliens présente le risque d'échec le plus élevé. Car même si l’on parvient à juguler la surpêche, à éliminer les facteurs de pollution, à transplanter des coraux, c’est peine perdue si on ne limite pas le réchauffement des océans, qui va produire des épisodes de blanchissement plus intenses et plus fréquents, et donc une moindre possibilité de récupération. A moins que l'adaptation ne se produise plus rapidement que prévu. Une étude récente montre que début du blanchissement des coraux se produit désormais à des températures plus chaudes de 0,5° C. La lutte contre le réchauffement climatique est l’un des enjeux majeurs des prochaines décennies.

Quelles solutions préconisez-vous ?

 Il existe un outil qui permet de réduire la pression humaine et de protéger les espèces, c’est l’Aire Marine Protégée (AMP), sorte d’oasis de rétablissement. En 2000, seulement 3,2 millions de km2 (0,9%) de l'océan étaient protégés, contre 26,9 millions de km2 (7,4%) de la superficie de l'océan aujourd’hui. La croissance actuelle des AMP devrait permettre d’atteindre une superficie de 50% d'ici 2050. Certes, cela a un coût : 10 à 20 milliards de dollars avec la restauration. C’est beaucoup, mais pour chaque dollar investi, on en récupère 10 et on crée plus d’un million de nouveaux emplois ! L'océan représente actuellement 2,5% du produit intérieur brut mondial et fournit des emplois à 1,5% de la main-d'œuvre mondiale. Mais on observe que l'écotourisme génère dans les zones protégées des retombées économiques de 4 à 12 fois supérieures à celles de la pêche. De plus, les herbiers, récifs coralliens et autres mangroves protègent le littoral. Cela représente quelque 52 milliards de dollars qui pourraient être économisés par les assurances confrontées au risque de tempêtes et de submersion côtière !

2020 est-elle une année charnière ?

Avant la pandémie que nous vivons aujourd’hui, 2020 devait être une année importante pour les océans, avec la tenue de la COP26 à Glasgow, la convention sur la biodiversité, la convention des Nations Unies sur le changement climatique. Certains événements seront sans doute reportés ou annulés, comme on vient de l’apprendre pour la COP 26. Néanmoins, nous sommes aujourd’hui arrivés à un point de bascule, où nous pouvons choisir entre laisser en héritage aux générations futures un océan en bonne santé ou un océan irréversiblement perturbé et épuisé. Reconstruire la vie marine d'ici 2050 représente un grand défi réalisable pour l'humanité. Il n'y a pas de solution unique pour cela, mais plutôt un empilement d'actions complémentaires. Nous pourrions ainsi passer de la litanie des problèmes océaniques qui a dominé les études scientifiques jusque-là, au récit de réussites de terrain.

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